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CHU - CAEN,Samedi 19 Octobre 2002
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HEMORRAGIE ET OBSTETRIQUE
S. LETOUZE
Département d’Anesthésie-Réanimation
Centre Hospitalier Côte de Nacre – 14033 CAEN Cedex




L'hémorragie obstétricale complique 5 % des accouchements et représente une des premières causes de mortalité maternelle en France. Dans le dernier rapport du comité national d'experts sur la mortalité maternelle, les hémorragies obstétricales constituaient la première cause de mortalité (18.6%) devant la maladie thrombo-embolique et les complications de l'HTA [1]. Pour les experts, 90 % des décès étaient évitables et n'ont pas bénéficié du niveau maximal de qualité de soins. Ces hémorragies s'associent également à une morbidité maternelle importante : anémie sévère, accidents et complications des transfusions sanguines, choc hémorragique, hystérectomie d'hémostase, infection et séjour en réanimation.
Même si les causes des hémorragies obstétricales sont bien connues, les facteurs conduisant à ces hémorragies graves sont souvent multiples et intriqués. C'est le plus souvent par l'intermédiaire d'un syndrome de défibrination ou d'une CIVD que se fait l'hémorragie qui expose au risque vital maternel.

Deux grandes caractéristiques résument les urgences hémorragiques dans le contexte obstétrical: leur brutalité et leur abondance. Deux pièges sont à connaître : la sous-évaluation des pertes sanguines et le retard d'apparition des signes cliniques du choc hypovolémique chez la jeune parturiente.

L'hémorragie obstétricale nécessite une prise en charge en extrême urgence par une équipe multidisciplinaire dans une structure adaptée.


HEMORRAGIES PRE- ET PER-PARTUM
2 urgences foeto-maternelles sont à rechercher de principe : le placenta praevia et l'hématome rétroplacentaire.

Hématome rétroplacentaire : contexte de toxémie diagnostiquée sur l'hypertension artérielle et la protéinurie, survenue brutale d'une souffrance foetale aiguë, douleurs abdominales, utérus de bois, état de choc alors que l'hémorragie de sang noirâtre est peu importante, coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) précoce et sévère (30 à 50 % des cas). L'intensité des troubles de la coagulation est corrélée à l'étendue du décollement placentaire. Le diagnostic repose sur l'échographie [2].

Placenta praevia : hémorragie de sang rouge souvent isolée. Le diagnostic est confirmé par l'échographie qui localise l'insertion placentaire (antérieur, latéral ou postérieur) et son caractère recouvrant, marginal ou latéral. Rare, 1/200 accouchements, il est favorisé par la multiparité, l'âge maternel, les curetages antérieurs et les grossesses multiples [3]. En post-partum, le risque hémorragique persiste car le placenta praevia peut être à l'origine d'anomalies de la rétraction utérine (segment inférieur de l'utérus); de plus, on le retrouve à l'origine de deux tiers des cas de placenta accreta. La conduite obstétricale à tenir depend du terme de la grossesse, de l'abondance de l'hémorragie et de son retentissement sur l'état maternel et sur la vitalité foetale.

Il faut citer la rupture utérine qui peut survenir en cours de travail. Sur utérus cicatriciel, les ruptures sont rarement hémorragiques; sur utérus sain, elles se produisent après un travail excessivement long, ou au cours de manoeuvres intempestives. Les facteurs favorisant en sont l'infection et la surdistension du muscle utérin (grande multiparité, gémellité, excès de liquide amniotique). Le diagnostic est exclusivement clinique: "panne" brutale des contractions, état de choc maternel, syndrome abdominal aigu, bradycardie fœtale [4].


HEMORRAGIES DU POST-PARTUM
DEFINITIONS
L'hémorragie du post-partum regroupe les syndromes hémorragiques débutant après l'expulsion foetale par voie basse ou par césarienne. Il peut s'agir d'hémorragies de la délivrance, entité majeure, survenant dans les 24 premières heure suivant l'accouchement ou d'hémorragies tardives du post-partum pouvant débuter plusieurs semaines après l'accouchement. Certains auteurs distinguent les hémorragies de la délivrance proprement dites (l'origine du saignement est la zone d'insertion placentaire) des hémorragies du post-partum qui englobent en plus les hémorragies liées aux lésions cervico-vaginales, aux ruptures utérines et aux coagulopathies. En effet ces hémorragies dites contemporaines de la délivrance sont sans rapport avec le phénomène même de la délivrance.

Selon la définition classique de l'OMS, les hémorragies du post-partum se définissent comme des pertes sanguines supérieures à 500 ml. Cette définition est en fait arbitraire et discutable puisque dans la réalité, les pertes physiologiques habituelles sont de l'ordre de 500 ml pour un accouchement par voie basse et 1000 ml pour une césarienne. Certains auteurs parleront d'hémorragie grave de la délivrance si la spoliation sanguine atteint ou dépasse 1000 ml et ceci quelles que soient les modalités d'accouchement. Il s'agit de la définition que l'on retrouve le plus fréquemment dans la littérature [5].

Quelle que soit la valeur retenue, le diagnostic repose sur l'évaluation visuelle et la pesée qui sont les méthodes les plus fréquemment utilisées en pratique quotidienne. La mesure des pertes est difficile voire impossible tant au moment de l'accouchement que de la césarienne, en raison de la difficulté de recueil et de la présence de liquide amniotique. Aussi, l'estimation de la quantité de sang perdue, pourtant fondamentale pour la prise en charge immédiate des hémorragies de la délivrance est très imprécise et souvent sous-estimée du fait de la grande subjectivité de l'appréciation visuelle [6].

Par ailleurs, l'hémorragie de la délivrance peut survenir sans vrai saignement extériorisé, ce qui est le cas des hématomes du ligament large, des hématomes périnéaux, ou des ruptures utérines.


HEMOSTASE PHYSIOLOGIQUE LORS DE L'ACCOUCHEMENT [7]
Physiologie de la délivrance normale
La délivrance est l'expulsion du placenta et des membranes hors des voies génitales. Elle comporte trois étapes successives :
3 décollement du placenta sous la dépendance de la contraction et de la rétraction utérine.
3 expulsion du placenta sous l'action des contractions utérines.
3 hémostase assurée par la rétraction utérine, véritable garrot physiologique. Cette rétraction n'est possible qu'après évacuation complète de l'utérus. C'est ce mécanisme, et non le processus de coagulation, qui est responsable de l'arrêt rapide du saignement. Par ailleurs secondairement à l'oblitération mécanique des vaisseaux, une thrombose vasculaire va se créer.

Facteurs de l'hémostase au cours du troisième trimestre
Le troisième trimestre de la grossesse se caractérise par l'association:
3 d'une hypercoagulabilité par augmentation du fibrinogène, des facteurs VII, IX, X, ainsi que des facteurs VIII et von Willebrand dont les taux de base sont multipliés par 3 à 10.
3 et d'une hypofibrinolyse due à un accroissement de la concentration des inhibiteurs de l'activateur du plasminogène (PAI).

Au total, la plupart des travaux suggèrent l'existence d'un certain degré de coagulation intravasculaire dès la quinzième semaine de la grossesse. Ce processus est physiologique pour autant qu'il n'est pas exagéré.

Critères d'une délivrance normale
Au total, la délivrance normale doit répondre aux impératifs suivants:
vacuité utérine totale
dynamique utérine normale
placenta normalement inséré et non adhérent
coagulation efficace.

TOLERANCE MATERNELLE DE L'HEMORRAGIE
Les modifications physiologiques de la grossesse préparent la femme enceinte à l'hémorragie qui accompagne l'accouchement normal. Ces modifications concernent le volume circulant qui augmente progressivement au cours de la grossesse pour atteindre plus de 40 % en fin de grossesse. Cette augmentation porte plus sur le volume plasmatique que sur la masse des globules rouges et permet de tolérer une hémorragie de l'ordre de 1000 ml. Ainsi avec cette relative hypervolémie maternelle de fin de grossesse, les signes cliniques d'hémorragie comme la chute tensionnelle et la tachycardie n'apparaissent que tardivement après une perte sanguine de plus de 1,5 litre, et peu avant la décompensation clinique maternelle [8].

ETIOLOGIES
Une approche simple et logique consiste à classer les hémorragies du post-partum en causes utérines et non utérines [6] (tableau I).
Les causes utérines sont responsables de 90 % des cas d'hémorragie du post-partum et sont généralement plus sévères. Les deux grandes circonstances habituellement rencontrées sont:
la rétention placentaire, la vacuité de l'utérus n'est pas obtenue;
l'inertie ou atonie utérine, la rétraction de l'utérus fait défaut.


Tableau I : Etiologies des hémorragies du post-partum

CAUSES UTERINES CAUSES NON UTERINES

Atonie
Rétention placentaire
Anomalies de la placentation
Rupture utérine
Inversion utérine
Dilacérations des parties molles
Col, vagin, périnée
Hématomes pelviens
Coagulopathies


Inertie utérine
C'est la cause la plus fréquente des hémorragies de la délivrance. Elle complique environ 2 à 5 % des accouchements par voie basse. Il en existe plusieurs facteurs favorisants (Tableau II).

Tableau II : Facteurs de risque d'atonie utérine d'après Dailland [9]

- Travail prolongé (épuisement myométrial)
-Surdistension utérine
- Grossesses multiples
- Polyhydramnios
- Macrosomies
-Parité élevée
-Accouchement trop rapide
-Anomalies utérines (fibrome ou malformation)
-Manoeuvres obstétricales (version...) Dystocies dynamiques (administration d'ocytocine)
-Chorioamniotites
-Hémorragies du per-partum
-Antécédents d'hémorragie du post-partum
-Interférences médicamenteuses
- Anesthésie à l'halothane
- *-mimétiques
- Sulfate de magnésium
-Globe vésical

Rétention placentaire et anomalies du placenta
Elle est définie par la persistance de tout ou partie du placenta dans la cavité utérine. Cette anomalie de la délivrance est due à plusieurs facteurs, qui peuvent parfois s'associer:
- anomalies de la contraction utérine (inertie ou hypertonie);
- adhérences anormales du placenta au myomètre (placenta accreta, percreta)
- anomalies morphologiques placentaires (cotylédon aberrant, anomalie d'insertion);
- fautes techniques, notamment traction prématurée sur le cordon et expression utérine, souvent responsables de rétention.
La rétention peut être complète ou incomplète. Dans ces deux circonstances, l'hémorragie peut devenir très abondante. Il faudra alors recourir soit à une délivrance artificielle soit à une révision utérine.

Lésions de la filière génitale
Une plaie du col, du vagin ou du périnée, doit être évoquée devant la persistance d'une hémorragie, malgré une bonne rétraction utérine, et la vérification de la vacuité utérine. Ces lésions surviennent spontanément, ou sont favorisées par une extraction instrumentale, un accouchement rapide, des efforts expulsifs sur dilatation incomplète. L'épisiotomie peut être à l'origine d'une hémorragie significative et doit être suturée rapidement. Un thrombus vulvovaginal peut évoluer vers un hématome rétropéritonéal.

Inversion utérine
Il s'agit du retournement de la surface interne de l'utérus vers l'extérieur, comme un doigt de gant. Elle se produit sur une atonie utérine ou par traction excessive sur le cordon ou par pression abdominale sur le fond utérin. Le tableau clinique est bruyant, avec douleur abdominale, hémorragie et rapidement, état de choc.

Coagulopathies
Elles sont la cause ou la conséquence des hémorragies obstétricales graves. Ces anomalies de l'hémostase peuvent être congénitales (maladie de Willebrand...) ou acquises par insuffisance hépatique (stéatose hépatique aiguë), défibrination (CIVD et/ou fibrinogénolyse) ou le plus souvent par coagulopathie de dilution.
Les troubles congénitaux de l'hémostase, souvent dépistés et traités avant l'accouchement, sont rarement à l'origine d'une hémorragie grave du post-partum immédiat. Pour les troubles acquis, il existe des situations favorisantes: la toxémie, les infections graves, l'hématome rétroplacentaire, l'embolie amniotique ou la rétention d'oeuf mort in utero.

La défibrination aiguë, par coagulopathie de consommation (CIVD) ou fibrinogénolyse, est générée par l'intrusion vasculaire de thromboplastines tissulaires et d'activateurs tissulaires du plasminogène libérés par le placenta et l'utérus [9].

® CIVD
Elle peut ne se traduire que par des anomalies biologiques, mais elle est plus fréquemment évoquée en présence d'une hémorragie de sang incoagulable avec saignements aux points de ponction et hémorragies cutanéo-muqueuses, voire des lésions viscérales dues à des microthromboses et aggravées par le collapsus. Le diagnostic est confirmé par les examens biologiques qui devront être répétés tant que persiste le syndrome hémorragique, afin d'adapter le traitement et d'en suivre l'évolution.

Diagnostic biologique : classiquement on retrouve la présence des anomalies suivantes:
Thrombopénie < 150 X 109/l
Diminution des facteurs II, V, VII, X au dessous de 50 % (le facteur V est le plus précocement abaissé)
Fibrinémie < 2g
Complexes solubles positifs
Produits de dégradation du fibrinogène (PDF) > 40 *g/ml ou de la fibrine (D-dimères) > 3
Allongement des temps de prothrombine et de céphaline activé
Allongement des temps de thrombine et de reptilase.

Le dosage du fibrinogène est de pratique courante mais est de peu d'utilité pour le diagnostic de CIVD; la sensibilité d'un taux effondré n'est que de 28 % [10]. De plus, en raison de valeurs souvent hautes avant le début de l'hémorragie, il faut prendre en compte une réduction relative.
Par contre, le dosage de l'AT III semble très intéressant car il n'est pas modifié dans les fibrinolyses pures mais a comme inconvénient un délai de laboratoire supérieur à une heure. C'est un marqueur de sévérité et de pronostic.
Les complexes solubles (CS) formés par association de monomères de fibrine obtenus par l'action de la thrombine (traduisant bien une activation de la coagulation) et de PDF sont moins spécifiques et surtout moins sensibles que les D-dimères, mais leur dosage est simple et rapide. Ils sont malheureusement positifs chez les patients largement transfusés par du plasma frais congelé.
La plupart des publications récentes [10, 11] retiennent trois marqueurs biologiques spécifiques suffisants pour faire le diagnostic de CIVD:
les D-dimères qui affirment le processus initial de coagulation;
les PDF qui affirment le processus de fibrinolyse;
et l'AT III qui affirme le processus de consommation des inhibiteurs de la coagulation.

® Fibrinogénolyse primitive
Elle se différencie de la CIVD par des PDF très élevés, des D-dimères presque normaux, des plaquettes non abaissées, des complexes solubles négatifs et un test de lyse des euglobulines inférieur à 30 minutes. Une CIVD peut évoluer vers une fibrinolyse secondaire.

® Coagulopathie de dilution
Elle s'observe lors des déperditions hémorragiques importantes. Dans ce contexte, la baisse des facteurs de la coagulation est constante, souvent supérieure à 60 %. Elle touche l'ensemble des facteurs, mais les facteurs V, VIII, le fibrinogène et les plaquettes peuvent présenter un déficit immédiat et majeur.
DIAGNOSTIC
Facile
Hémorragie externe abondante et de survenue brutale, associant du sang rouge à de nombreux caillots; elle est tout à fait indolore.
Les signes généraux reflètent la tolérance maternelle à la spoliation sanguine, et dépendent donc de l'état hémodynamique préalable, ainsi que de l'importance de l'hémorragie qui apparaît (tableau III).

Tableau III : Caractéristiques cliniques du choc hémorragique chez la parturiente en fonction
de la spoliation sanguine (d'après Bonnar) [12]

Déperdition sanguine Pression artérielle systolique Symptômes et signes cliniques Degré du choc
10-15% (500-1000 ml) Normale Palpitations, étourdissement, tachycardie Compensé
15-25% (1000-1500 ml) Chute de 10% Agitation, sueurs, tachtycardie Modéré
25-35% (1500-2000 ml) 70-80 mmHg Confusion, pâleur, oligurie Sévère
35-45% (2000-3000 ml) 50-70 mmHg Collapsus, polypnée, anurie Décompensé

Plus difficile
L'accouchement et la délivrance se sont "bien passés", l'utérus s'est rétracté, l'examen local est normal. Il existe un saignement distillant passant inaperçu mais persistant. Il peut être masqué par l'épisiotomie et aggravée par elle.
L'hémorragie est insidieuse et non extériorisée. L'utérus se remplit de caillots et la hauteur utérine augmente à chaque examen. Le saignement peut être pelvien en particulier dans le cadre des hématomes. Le diagnostic est alors évoqué devant des signes indirects d'hémorragie comme des lipothymies, une agitation, une tachycardie ou une pâleur. Ces signes annoncent le collapsus.

La douleur d'une rupture utérine ou d'un hématome de la paroi vaginale peut être masquée par le bloc sensitif d'une analgésie péridurale.

Le saignement peut être retardé, survenant au-delà des limites habituelles suggérées par la définition même de cette complication.


SURVEILLANCE DE L'ACCOUCHEE
CLINIQUE
La surveillance d'une patiente qui saigne doit porter sur la pression artérielle, le pouls, la SpO2, la diurèse (sonde à demeure), la coloration des téguments, le volume du saignement (un sac collecteur gradué doit être disponible en salle de travail), la qualité de la rétraction utérine. Ces éléments sont inscrits dans le dossier de la patiente où doit se trouver une carte de groupe avec deux déterminations et deux phénotypes, ainsi qu'un résultat de recherche d'agglutinines irrégulières (RAI) récent (moins d'un mois).


BIOLOGIQUE
Les examens de laboratoires comprenant une RAI, une NFS plaquettes, le TCA, le TP, le fibrinogène, les facteurs II, V, VII, X, les D-dimères sont prélevés et adressés en urgence.
Au lit de la patiente, il est possible d'estimer le taux d'hémoglobine par un Hemocue“.

CONDUITE A TENIR
Elle associe le traitement du choc hémorragique et des troubles de l'hémostase à des gestes obstétricaux dont la rapidité d'exécution est un facteur pronostique important.
L'amélioration du pronostic suppose une étroite collaboration entre l'obstétricien et l'anesthésiste.

MANŒUVRES OBSTETRICALES
La délivrance artificielle est systématique en cas d'hémorragie lorsque le placenta n'est pas délivré. Elle est pratiquée sous péridurale si cette dernière est encore efficace ou sous anesthésie générale. Dans ce cas, l'étomidate (Hypnomidate“) ou la kétamine (Ketalar“) sont intéressant pour l'induction. Celle-ci doit être précédée de la prise de cimétidine (2 cps effervescents), et l'intubation doit s'effectuer sous couvert de la manoeuvre de Sellick, après administration de succinylcholine. L'anesthésie ne sera induite qu'après correction de l'hypovolémie. Une antibioprophylaxie sera administrée (Augmentin“ ou Dalacine“ en cas d'allergie aux b-lactamines). Le cathéter de péridural ne sera mobilisé que lorsque les troubles de l'hémostase seront corrigés.
Si la délivrance est déjà effectuée, la révision utérine est systématique et immédiate même si l'examen du placenta semble normal. Elle permet de s'assurer de la vacuité utérine et d'évacuer les caillots qui distendent la cavité utérine et empêchent sa rétraction. Sa réalisation exige les mêmes précautions que la délivrance artificielle.
L'examen soigneux de la filière génital sous valves sera systématique.
En cas d'épisiotomie ou de déchirures vaginales, celles-ci devront être suturées sans délai.

Le massage utérin par voie transabdominale permet d'obtenir un certain degré de rétraction musculaire et devra être poursuivi aussi longtemps que nécessaire en respectant une petite pause toutes les 5 à 10 minutes pour apprécier le comportement spontané de l'utérus. Il procède par mouvements circulaires fermes exercés sur le fond et le corps de l'utérus.

PRISE EN CHARGE PHARMACOLOGIQUE
A l'exception des trois causes particulières que sont le placenta accreta, la rupture utérine et l'inversion utérine, l'emploi des utérotoniques est systématique immédiatement après la pratique des gestes précèdemment décrits, même si l'atonie utérine n'est pas l'étiologie principale de l'hémorragie. Cette attitude permettra d'assurer une rétraction utérine parfaite et de limiter au maximum toute perte surajoutée.
La prise en charge pharmacologique initiale repose principalement sur l'utilisation d'ocytocine et ou de méthylergométrine. Le choix et l'ordre de prescription sont affaire d'école et il n'existe pas de chiffre rapportant les pratiques médicales en France sur ce sujet [13].


Ocytocine (Syntocinon“)
Analogue synthétique de l'hormone naturelle post-hypophysaire, elle possède un effet utérotonique par apparition ou renforcement des contractions. Elle stimule la libération des prostaglandines myométriales, qui potentialisent son action.
Elle se présente sous forme d'ampoule de 1 ml contenant 5 UI d'ocytocine. Sa conservation se fait au froid, entre 2 et 15°C.
Classiquement le syntocinon est administré par voie veineuse en bolus de 5 UI, l'administration intramurale étant réservée aux atonies utérines résistantes à la voie IV. L'effet du bolus est immédiat et persiste 45 minutes. Il peut s'accompagner d'une hypotension artérielle transitoire par vasodilatation systémique d'autant plus sévère que la parturiente est hypovolémique. Le relais sera assuré par une perfusion de 10 à 20 unités dans 500 ml de soluté glucosé isotonique à passer en deux heures [8].

Les dérivés de l'ergot de seigle
La méthylergotamine (Methergin“) est l'agent utérotonique le plus ancien. Elle possède une activité utérine puissante et prolongée liée à la stimulation des récepteurs *-adrénergiques du myomètre.

La seule voie injectable autorisée est la voie intramusculaire (ou intramurale) à la posologie d'une ampoule de 0,2 mg. Par cette voie, le maximum de l'action utérotonique est atteint en 2 à 5 minutes et dure de 4 à 6 heures. L'ergométrine, moins puissante est dosée à 0,5 mg injectable. La syntométrine dosée à 1 mg, qui associe 5 UI de Syntocinon et 0,5 mg d'ergométrine, est très utilisée aux Etats-Unis.
Les effets secondaires cardiovasculaires, parfois graves, à type d'accès hypertensifs, de troubles du rythme et de la conduction, de douleurs thoraciques avec spasme coronarien allant jusqu'à l'ischémie, et l'arrêt cardiaque ont amené à limiter l'utilisation des dérivés de l'ergot de seigle et interdire la voie intraveineuse. Les autres effets secondaires sont essentiellement digestifs à type de diarrhée, douleurs abdominales, nausées et vomissements.

Prostaglandines
Elles appartiennent à la famille des eicosanoïdes. Les prostaglandines utérotoniques sont la PGE2 et la PGF2* [13]. Leur présence est nécessaire à l'action de l'ocytocine.
En France, le seul analogue des prostaglandines utilisé dans le traitement de l'hémorragie de la délivrance est le sulprostone (Nalador“), même si l'autorisation initiale de mise sur le marché ne comportait pas cette indication.

Dérivé synthétique de la PGE2, il se présente sous forme d'ampoule de lyophilisat (500*g/ampoule) et doit être stocké à une température inférieure à 8°C. Le sulprostone a l'avantage d'entraîner des effets secondaires bien moindres par rapport à l'analogue de la PGF2 *, en particulier gastro-intestinaux et systémiques dus à une utéro-sélectivité supérieure [14].
Les effets hémodynamiques de la PGE2 se traduisent par une vasodilatation et réduction des résistances vasculaires systémiques pouvant être majorés lors d' une correction insuffisante d'une hémorragie conduisant alors à une hypovolémie sévère.
Certaines observations ont fait état de réponses hémodynamiques paradoxales, à type d'hypertension artérielle sévère avec vasoconstriction lors d'administration de bolus, soit par stimulation d'origine hypothalamique, soit par stimulation directe du système rénine-angiotensine [8].

Le schéma d'utilisation du sulprostone est standardisé (tableau IV) [14].

Tableau IV : Protocole d'utilisation du sulprostone (Nalador)

1 ampoule de 500 *g dans 50 ml :
début de 20 à 50 ml/h (3,4 *g/min à 8,3 *g/min = maximum)
puis entretien à 10 ml/h (1,7 *g/min)
avec un maximum de 1500 *g (3 ampoules) sur 24 heures.
A l'issue de ce traitement, un relais par syntocinon 20 UI dans 500 ml G 5 % en 60 min est pris.

Les contre-indications classiques du Nalador telles quelles apparaissent dans le Vidal sont figurées dans le tableau V.

Tableau V

CONTRE-INDICATIONS AU NALADOR
Antécédents d'asthme, bronchite spasmodique
Antécédents et affections cardiovasculaires (angine de poitrine, syndrome ou maladie de Raynaud, troubles du rythme cardiaque, hypertension artérielle)
Lésions cardiaques préexistantes (même en l'absence de signes de décompensation)
Antécédents thrombo-emboliques, thrombophlébites
Troubles graves de la fonction hépatique ou rénale
Diabète décompensé
Antécédents comitiaux
Glaucome
Thyréotoxicose
Colite ulcéreuse
Ulcère gastrique
Femmes fumeuses ou ayant arrêté de fumer depuis moins de deux ans
Femmes de plus de 35 ans

Des cas cliniques inquiétants rapportent régulièrement des troubles cardiovasculaires graves concomitants à l'administration de ce traitement chez des parturientes présentant une hémorragie du post-partum. Le mécanisme lésionnel impliqué est probablement un spasme coronarien survenant dans un contexte de choc hémorragique et d'anémie aiguë.

Le misoprostol (Cytotec“), analogue synthétique de la PGE1, a recemmment été étudié par voie intra-rectale à la dose de 1000 *g (5 comprimés de 200 *g) dans des hémorragies de la délivrance résistantes au traitement ocytocique habituel [15]. Des études complémentaires sont nécessaires.


TRAITEMENT DU CHOC HEMORRAGIQUE
Le rétablissement et le maintien de la volémie, associés à une bonne oxygénation, représentent une priorité absolue.
Une deuxième voie veineuse périphérique de bon calibre (14 ou 16 G) est indispensable.
La restauration de la volémie se fait à l'aide des cristalloïdes puis des colloïdes artificiels : gélatine fluide modifiée (Gélofusine“) pour laquelle il n'y a pas de limitation de volume mais qui expose au risque allergique ou hydroxy-éthyl-amidons (Elohès“, Voluven“…) dont les effets secondaires sur l'hémostase limitent la dose maximale à 33 ml/kg. Il faut rappeler que l'on ne peut administrer les colloides artificiels qu'après extraction du fœtus. Avant la naissance, l'ANAES recommande l'albumine à 4 % quand on a déjà perfusé 2000 ml de Ringer-lactate. L'apport de concentrés érythrocytaires isogroupes-isorhésus, phénotypés et déleucocytés doit être envisagé rapidemment si le saignement est important, et il faut maintenir une hémoglobinémie au-dessus de 7 g/dl tant que le processus hémorragique n'est pas complètement contrôlé.
La qualité de l'expansion volémique sera jugée sur les signes cardiovasculaires, l'état de conscience et la diurèse qui doit dépasser 30 ml/h. La pression veineuse centrale peut être un bon reflet de la volémie chez ces femmes jeunes possédant une fonction cardiaque normale, mais il peut être dangereux de vouloir absolument mettre en place une voie veineuse profonde dans les hémorragies graves, dans un contexte de troubles de coagulation.


CORRECTION DES TROUBLES DE LA COAGULATION
Les indications du plasma frais congelé (PFC) sont larges dans les hémorragies massives du post-partum, souvent même avant d'avoir pris connaissance des résultats des examens de l'hémostase. Le PFC sur la base de 20 ml/kg apporte les facteurs de coagulation consommés (I, II, V, VII, VIII, X, fibrinogène) et les inhibiteurs (AT III, protéine C, protéine S). Il est souhaitable que le taux des différents facteurs de coagulation et en particulier celui du facteur V atteigne au moins 35 %.

L'apport complémentaire de fibrinogène est indispensable si sa concentration plasmatique est inférieure à 1 g/L.

L'apport de plaquettes (CUP) est justifié en présence d'une thrombopénie inférieure à 50.109.L-1 associée à des manifestations hémorragiques diffuses malgré l'apport de PFC et de fibrinogène.

L'activité fibrinolytique circulante ne sera traitée qu'en cas d'hémorragie persistante et/ou très importante ou si elle devient prépondérante au décours d'une CIVD (temps de lyse des euglobulines inférieur à une heure). Le traitement fibrinolytique repose actuellement sur l'aprotinine (inhibiteurs des protéases et en particulier de la plasmine), qui a une activité antifibrinolytique et antikallicréine. Il semble préférable de n'utiliser que de faibles doses d'aprotinine (Antagosan“) (500 000 UIK éventuellement renouvelables après une heure puis toutes les 6 heures) pour prévenir le risque théorique de thrombose. Le risque de réaction anaphylactoïde ou anphylactique, de l'ordre d'un pour mille chez le sujet naïf à la molécule, passe à 2.7 % lors d'une seconde exposition [16].

L'administration des fractions coagulantes de type PPSB (prothrombine, proconvertine, facteur stuart, facteur anti-hémophilique B) est prohibée [9].

L'administration d'antithrombine III (Aclotine“) pourrait être bénéfique et réduirait la durée de la CIVD. On administre initialement une dose de charge de 1 500 à 2 000 unités, puis des doses de 500 à 1000 unités toutes les 24 heures, jusqu'à normalisation des taux [9].

TRAITEMENT CHIRURGICAL
Ligatures vasculaires
Ce geste vise à interrompre la continuité artérielle pour limiter l'apport sanguin à l'utérus par ligature des artères hypogastriques ou des vaisseaux utérins; alternatives thérapeutiques dont le but est de conserver l'utérus et préserver le pronostic obstétrical [17]. Il se heurte à deux types de difficultés :
- la richesse vasculaire pelvienne: même après ligature de certains vaisseaux, la vascularisation utérine peut être maintenue grâce à la constitution d'un réseau de suppléance,
- les troubles de coagulation : ils entraînent des saignements en nappe, non coagulables et rendent ainsi difficile le repérage des différents vaisseaux.
Il semble donc préférable de réaliser ces ligatures vasculaires rapidement dans l'évolution de l'hémorragie avant que les troubles de la coagulation ne se soient installés.

Hystérectomie d'hémostase
Dernier recours thérapeutique, elle s'impose souvent devant un retard majeur sur le plan thérapeutique, ainsi qu'en cas d'anomalies de l'insertion placentaire. Son indication tend à diminuer au profit des méthodes conservatrices. On retrouve dans la littérature une incidence qui varie de 0,2 à 1,5 pour 1000 accouchements [18].
L'hystérectomie d'hémostase parvient le plus souvent à contrôler le saignement mais elle entraîne une mortalité non négligeable, estimée entre 0,1 et 4,5% suivant les séries. La morbidité est également importante: plaie de vessie, plaie ou ligature de l'uretère, fistules vésico-utérovaginales, sepsis, thrombophlébite [18].
Le sacrifice de la fertilité de la patiente est évidemment un inconvénient majeur de cette technique.

RADIOLOGIE INTERVENTIONNELLE
L'embolisation doit être envisagée chaque fois que les conditions de proximité et de disponibilité des équipes de radiologie interventionnelle autorisent sa réalisation [17].
L'embolisation est habituellement pratiquée sous anesthésie locale sauf si l'état hémodynamique de la patiente impose une anesthésie générale (intubation-ventilation). La procédure ne doit être pratiquée qu'après évaluation de la gravité et prise en charge par les anesthésistes-réanimateurs. L'indication d'embolisation doit être posée après une discussion pluridisciplinaire entre radiologue vasculaire, obstétricien et anesthésiste-réanimateur. Cette coopération est capitale dans le but de proposer l'embolisation le plus tôt possible avant que l'état de la patiente ne soit trop dégradé et qu'un transfert ne devienne trop risqué.
La procédure sera réalisée en radiologie sous la surveillance constante de l'équipe de réanimation. Une place en réanimation au sein de la même structure doit également être disponible après la procédure.
Un vasospasme artériel peut être rencontré en cas d'hémodynamique instable, d'utilisation de drogues vasoconstrictrices ou d'utérotoniques (sulprostone).
Le taux d'efficacité global de l'embolisation d'hémostase est supérieur à 90% dans la prise en charge des hémorragies de la délivrance [19].
La quasi-totalité des femmes retrouvent des cycles menstruels normaux après embolisation.
Plusieurs grossesses ont été rapportées après embolisation utérine d'hémostase [19].


CONCLUSION
L'hémorragie péri-partum est une urgence obstétricale et anesthésique qui reste une des premières causes de mortalité maternelle en France. Elle est trop souvent la conséquence d'un retard ou d'une insuffisance thérapeutique. Elle peut être évitable chez certaines patientes à risque qui doivent être identifiées avant ou pendant le travail. Une fois l'hémorragie installée, tout retard ou hésitation dans la prise en charge multidisciplinaire sont préjudiciables car ils favorisent l'apparition de troubles de la coagulation et l'installation d'un cercle vicieux. Lorsqu'elle est possible, l'embolisation artérielle constitue un énorme progrès dans le traitement conservateur non invasif et devrait s'imposer comme une technique de référence en cas d'échec du traitement médical. Son developpement est malheureusement freiné par le faible nombre de centres qui pratiquent des embolisations en urgence: un transfert de la patiente est le plus souvent nécessaire ce qui impose une stabilité hémodynamique et complique la procédure. Une coopération étroite entre obstétriciens, anesthésiste-réanimateurs, médecins des SAMU-SMUR et radiologues vasculaires paraît donc capitale pour optimiser la prise en charge de ces patientes.



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