,*CMC
Saint-Vincent 35760 Saint-Grégoire ** DAR Hôpital Tenon 75020 Paris.
Correspondance : MEG Marc.Gentili@wanadoo.fr
L’ASA
(American Society of Anesthesiologists) par le biais de son Comité
Professionnel s’est engagée à dans une analyse des demandes
d’indemnisation déposées auprès de compagnie d’assurances par des
patients ou leurs familles à la suite de complications survenues au décours
des actes d’anesthésie. Cette analyse rétrospective puis prospective depuis
1985 s’inscrit dans une démarche de qualité : lle constitue l'ASA
Closed Claims Project (1). Le
projet de ce groupe de travail a été d’identifier les accidents liés à
l’anesthésie et d'analyser les mécanismes lésionnels afin de pouvoir réduire,
par une politique d’alerte et de prévention, les complications et par la même
les indemnisations inhérentes souvent élevées(2).
Les
éléments étudiés sont extraits de dossiers anonymes et clos, c’est à dire
ayant donné lieu à une expertise et à un jugement voire une éventuelle
indemnisation financière dont le montant est connu. Trente cinq organismes,
assurant professionnellement 14500 anesthésistes américains (environ 50% des
anesthésistes), fournissent ainsi les données des dossiers contenant des
plaintes envers les anesthésistes. Celles-ci sont alors examinées par le Comité
Professionnel de l'ASA.
Cette
stratégie d’analyse a ainsi permis de dégager des axes de recherche spécifiques
vers certaines pathologies ou certains dysfonctionnements(2), dépassant parfois
le champ de l’investigation épidémiologique pour aborder des disciplines
plus fondamentales. Le fichier de données a inclus environ 5480 dossiers
essentiellement antérieurs à 1995(3): 667 dans les années 70 (12%), 2935 dans
les années 80 (54%) et 1784 pour la dernière décennie (33%); compte tenu du
temps nécessaire à la résolution éventuellement judiciaire mais surtout
financière d’une procédure, ils ne sont pas tous représentatifs de la
totalité des problèmes rencontrés lors d’une anesthésie. Par ailleurs, les
réclamations concernant les dégâts dentaires n’y sont pas inclus.
Il
est à noter que dans la majorité des cas considérés il s’agit d’adultes
en bonne santé opérés pour une intervention programmée sous anesthésie générale
(tableau I).
L’un
des intérêts du projet "ASA Closed Claim Project" est de rechercher
comment les dysfonctionnements des processus de soins en anesthésie peuvent
conduire à des complications sévères au delà des conséquences médicales(2).
Cette analyse cherche ainsi à distinguer les causes lésionnelles (damaging events), par exemple une impossibilité de contrôler l’airway
ou une injection intra neurale, et les séquelles lésionnelles (adverse
outcome), comme une atteinte de la corne postérieure de la moelle ou une
perte de la vision oculaire qui conduisent à une complication .
Quatre
catégories représentent prés de la moitié des mécanismes lésionnels (46
%). Elles sont représentées par les erreurs thérapeutiques(3-6)les atteintes
du système respiratoire (24%)(7,9,10), les troubles cardiovasculaires
(11%)(7,8), les dysfonctionnement du matériel (10%) (11) .
De
même, trois catégories de lésions (décès, neuropathies et lésions cérébrales)
représentent deux plaintes sur trois (tableau II).
Ainsi, l’intérêt de distinguer et de catégoriser les causes (adverse events) et les conséquences (adverse outcome) des plaintes permet actuellement de se focaliser sur les champs de la pratique qui nécessitent une investigation plus poussée ainsi que de mettre en place de nouvelles stratégies de gestion du risque en anesthésie.
2.2.Quelles
sont les principales lésions (adverse
outcome) (figure n°2)?
De
la même manière, une diminution drastique des atteintes cérébrales a été
observée au cours des trente dernières années alors que les lésions
neurologiques en particulier de la moelle épinière tendent à augmenter (21%
des dossiers)(3,4).
Trois
types de séquelles méritent une attention particulière : les
neuropathies(12-15), les cécités postopératoires(3). et les réveils en cours
d’anesthésie(16-18).
Une analyse approfondie des dossiers traitant des atteintes neurologiques a été menée en 1990 (227) et 1999 (6-10). Ces lésions représentaient alors à chaque analyse environ 15% de la totalité des plaintes et concernaient dans plus de la moitié des cas le nerf ulnaire et les plexus brachiaux et lombo-sacrés. Les atteintes du nerf ulnaire ont été prépondérantes; dans seulement moins de 10% des cas une cause précise n’a été retrouvée. Cependant, il a été noté que 75% des dossiers concernaient des hommes. Cette prédominance masculine laissent ainsi supposer une prédisposition liée au sexe qui faciliterait la survenue d'une atteinte ulnaire dans certaines positions opératoires, et ce indépendamment des mesures de protections au niveau du coude. Inversement, les femmes semblent être plus exposées au risque d'atteintes du plexus brachial ou lombo-sacré(12).
La
perte de la vision a été une complication rare (moins de 1% des cas).
Cependant, elle est restée particulièrement sévère et a regroupé des
atteintes lésionnelles variées incluant : une thrombose de l’artère ou
de la veine centrale de la rétine, une ischémie du nerf optique (88%), et des
atteintes des voies du cortex cérébral. Les interventions sur le rachis en décubitus
ventral ou utilisant une CEC ont été les deux modes opératoires les plus fréquemment
associés à cette pathologie. Les autres facteurs de risque individualisés ont
été un tabagisme, une hypertension artérielle, une obésité et une athérosclérose.
De plus, un temps moyen de séjour en salle d’opération de 9h, une
hypotension contrôlée, une perte sanguine de plus de 2 litres et un hématocrite
proche de 25% sont autant de
facteurs surajoutés. Il est néanmoins vraisemblable
que l’étiologie des cécités secondaires à une anesthésie soit
multifactorielle. Enfin, cette atteinte a été bilatérale dans 56 % des cas.
Seulement trois cas de récupération partielle ont été rapportés(3).
Plus récemment, des demandes d’indemnisation ont
été déposées par des patients se plaignant de troubles psychologiques
secondaires à des réveils peropératoires
du fait de narcoses ou sédations insuffisantes: 79 plaintes ont ainsi été
relevées dans l'année 1999(18).
2.3.
Quelles sont les principaux mécanismes (adverse events) mis en cause dans
la survenue de ces complications ? :
Dans la décennie des années 70, les complications
liées au contrôle de l’appareil respiratoire (ventilation inadaptée,
intubation œsophagienne, et difficulté d’intubation) constituaient les
motifs les plus fréquents de plaintes(6). Elles ont été réduites depuis,
passant de 36% à 14 % dans les années 90. Cette réduction concerne plus spécifiquement
l’intubation œsophagienne. Ainsi, l’amélioration et l’usage extensif du
monitorage au bloc opératoire et en salle de soins post-interventionnelles (capnométrie,
oxymétrie de pouls) est à rapprocher de cette diminution des plaintes liées
à une complication d'origine respiratoire(3,11). Cependant, les autres causes
de complications que sont les troubles cardiovasculaires (11%), les
dysfonctionnements liés au matériel, et les erreurs thérapeutiques (4%) sont
restées, quant à elles, stables au fil du temps (figure
n°3). Il est intéressant
de noter que la part liée au développement de nouveaux modes de prise en
charge thérapeutique : l’anesthésie pour chirurgie ambulatoire,
l’anesthésie pour des actes au cabinet (office –based anesthesia ) et la
prise en charge de la douleur en dehors de la chirurgie est une stratégie thérapeutique
associée à une augmentation constante du nombre de plaintes surtout dans la
dernière décennie(3,4).
Un
arrêt cardiaque inopiné n’a pas été le seul élément déterminant des décès
secondaires aux blocs centraux. En effet, des bradycardies sévères ont été
aussi considérées comme responsables du décès des patients. Elles ont
concerné, le plus souvent, des adultes jeunes opérés pour des chirurgies
mineures. Les conséquences médicales ont toujours été d’une extrême
gravité: décès ou séquelles neurologiques. L’analyse de ces dossiers a
retrouvé comme facteur associé la présence d’un bloc avec un niveau
sensitif haut situé (T4). De plus, l’arrêt cardiaque est survenu en général
une demi heure après la réalisation du bloc et le retard à l’utilisation de
l’adrénaline dans les manœuvres de ressuscitation a été fréquemment relevé(8).
Il est à noter que dans les années 70 et 80 les proportions de décès
secondaires aux blocs rachidiens étaient respectivement de 61 et 40 % : il
faut sans doute voir dans la relative baisse de ces accidents l’utilisation
extensive du monitorage et l’usage des vasoconstricteurs pour réduire les
conséquences du bloc sympathique.
Si
l’on s’intéresse aux séquelles définitives (permanent
disabling ) (figure n°5)associées aux techniques d’ALR telles qu‘une cécité
monoculaire, une paraplégie, une tétraplégie ou des lésions cérébrales, on
constate que les lésions oculaires secondaires à des anesthésies péribulbaires
ou rétrobulbaires ont été les atteintes sévères les plus fréquemment
observées. Par ordre de fréquence, elles sont suivies par les blocs réalisés
dans le cadre de la prise en charge de la douleur. D’ailleurs, 14 dossiers sur
16 ont concerné plus spécifiquement des plaintes faisant suite à un acte réalisé
pour soulager une douleur chronique(4).
En
ce qui concerne le mécanisme lésionnel des atteintes nerveuses observées après
bloc périphérique ou central, un traumatisme direct du à la ponction a été
l’hypothèse la plus fréquemment retenue. Enfin, deux dossiers
d’indemnisation sur 14 relatifs à des blocs centraux ont eu pour cause un
syndrome de l’artère spinale antérieure(3,4).
Le
système d’analyse des dossiers d’assurance, mis en place par l’ASA, est
exemplaire par la qualité des résultats observés et les travaux qu’il génère
en aval. Il est un bon témoignage de l’évolution de notre spécialité
depuis trente ans, par la réduction significative du nombre de décès, la
meilleure prise en charge du système respiratoire dans son ensemble ou de la
gestion des anesthésies rachidiennes mais il alerte aussi sur des phénomènes
émergeants : cécité et neuropathie postopératoires, complications de la
chirurgie ambulatoire ou de la prise en charge de la douleur chronique, plaintes
secondaires à une mémorisation peropératoire. En ce qui concerne le débat
toujours renouvelé de l’intérêt de l’ALR par rapport à l’AG, le seul
fait notable est la moindre mortalité après une ALR mais cela ne permet en
aucun cas de considérer une approche comme étant plus sûre q’une autre.
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Tableau I: Caractéristiques des patients américains
avec une anesthésie ayant eu une complication avec une plainte envers leur
anesthésiste.
Profil des
patients ayant une complication suivie d’une plainte. |
Patients âgés de plus 16 ans (91%) Chirurgie programmée : (75% des cas) Score ASA I ou II (69%) Anesthésie Générale (67%)Sexe féminin (59% des patients) |
Tableau II : Catégories et
Fréquence des lésions ayant abouti à une plainte après un acte fait par un
anesthésiste américain.
Etiologies
des Complications après une anesthésie ayant entraîné une plainte. |
Décès :30
% Neuropathie :18
% Lésions
cérébrales : 12 % Atteintes
des voies aériennes : 7 % Pneumothorax :4
% Inhalation :4 %Atteinte
oculaire :4 % Trauma
fœtus, nouveau-né :3 % Céphalées :4
% AVC :3 %
Lombalgies :3
% Infarctus :2
% Réveil
per opératoire :2 % Brûlures :2
% |
Figure n°1: Evolution des déficits
ayant entraîné une plainte entre les années 70 et 90 aux Etats-Unis.
Figure n°2: Evolution de l'étiologie
des lésions ayant entraîné une plainte des années 1970 aux années 1990
Figure
n°4: Répartition des techniques d'ALR ayant entraîné un décès du patient
et une plainte (n=30) (ASA closed Claims Project- années 90 )
Figure
n°5: Répartition des techniques d'anesthésie loco-régionale ayant entraînées
une Séquelle permanente (n=71) avec plainte (ASA closed Claims Project - années
90)
Figure n°6: Evolution des années 1970 aux années 90
de la proportion des plaintes en rapport avec un décès - Comparaison anesthésie
générale (AG) et anesthésie loco-régionale (ALR).
Figure
n°7: Répartition de la sévérité des lésions ayant entraîné une plainte
après une anesthésie générale (AG) ou une anesthésie locorégionale (ALR)
dans les années 1990 aux Etats-Unis.